Sébastien Donner

Extrait
La divine vengeance de Gaelle

Couverture de livre représentant une jeune femme rousse assise au bord d'un quai de métro

CHAPITRE PREMIER
Le sens du spectacle

Gaelle fixe sa cible avec détermination.

Cette dernière évolue avec nonchalance, inconsciente de la menace qui plane sur elle.

Gaelle tient fermement son arme dans la main droite, alors que le silence le plus complet se fait en elle. Plus rien d’autre n’existe au monde que sa cible.

La cible esquisse un mouvement vers la droite, puis change d’avis et oblique vers la gauche.

Le bras de Gaelle, l’arme et sa cible… Tout cela ne fait plus qu’un. Tout cela ne peut plus que se rencontrer.

Et effectivement, sans même prévenir…

La mort frappe, implacablement, avec une soudaineté qui surprend Gaelle elle-même.

Elle lâche négligemment sa fourchette, puis elle regarde avec satisfaction le cadavre de la mouche qu’elle vient d’écraser.

Gaelle se réjouit :

- Sale emmerdeuse, tu fais moins la maligne à présent !

*

Gaelle abandonna le cadavre de l’insecte qu’elle venait d’anéantir sur la petite table ronde du salon. Cette pièce confortable et haut de plafond faisait partie de la suite luxueuse dans lequel la jeune femme venait de poser ses valises.

Elle ouvrit une large porte-fenêtre qui donnait sur une terrasse spacieuse. Située au deuxième étage de l’hôtel, elle surplombait la plage de Cabourg, une charmante petite ville de la Côte Fleurie normande.

Gaelle s’avança sur la terrasse suspendue, un café à la main. Avec délice, elle inspira l’air marin qui lui venait en petites rafales, puis elle s’allongea sur un transat. Elle laissa alors son regard se perdre dans la ligne d’horizon dessinée par la mer, tandis que la douceur du vent marin agitait ses cheveux roux mi-longs.

Le temps s’étira avec cette légèreté propre aux vacances d’été, dont on voudrait qu’elles ne cessent jamais.

Au bout d’un long moment, Gaelle entendit un raclement métallique discret, sur la terrasse voisine de gauche… Très certainement son voisin de chambre, qui ajustait son propre transat.

Gaelle n’ouvrit même pas les yeux ; les terrasses étaient en effet séparées l’une de l’autre par des cloisons sobres mais très efficaces. Gaelle plongea la main dans un sac, placé juste à côté d’elle, et en sortit des gants en cuir fin qu’elle enfila paresseusement.

Puis elle se laissa à nouveau aller au farniente, sur son transat.

La journée passa lentement ; le soleil commença à décliner et les ombres à s’allonger. Puis la luminosité se fit celle d’un début de soirée.

Au terme d’un nouveau long moment survint un nouveau raclement, depuis la terrasse du voisin de gauche. C’est alors que, sans prévenir…

Gaelle bondit et accourut au bord de la terrasse suspendue.

L’instant d’après, elle se jetait dans le vide tout en agrippant le bord de la cloison qui la séparait de son voisin.

Traction des bras, mouvement de balancier de l’ensemble du corps vers la gauche… Telle une gymnaste pratiquant la Pole Dance, Gaelle vola littéralement depuis son balcon-terrasse vers celui du voisin.

Un nouvel instant plus tard, elle s’abattait de tout son poids, pieds en avant, sur le dos du voisin qui rentrait dans sa propre suite.

Surpris, ce dernier s’effondra lourdement dans son salon. Il tenta de se relever et reçut, en plein visage, un coup de pied qui l’envoya valser en arrière.

A l’aveugle, il tenta quelques mouvements désordonnés de défense… Manifestement plus par principe que par réelle conviction.

Gaelle poussa un petit grognement de gamine contrariée. Elle donna un nouveau coup de pied, au plexus solaire cette fois-ci.

Le voisin s’effondra à quatre pattes, incapable de retrouver son souffle, mais toujours conscient… Il se paya même le luxe de relever son visage cramoisi vers Gaelle.

Cette dernière s’impatienta :

- Maintenant il va falloir coopérer et vous évanouir, très cher Monsieur !

Gaelle frappa l’homme rétif à la carotide.

Il eut cette fois-ci l’obligeance de perdre connaissance.

*

Gaelle alluma les lumières et passa dans la salle de bain de son voisin. Tout comme la terrasse suspendue et le salon, elle était identique à celle de Gaelle : incroyablement spacieuse et luxueuse.

Gaelle s’arrêta devant le grand miroir de l’un des deux lavabos. Elle fixa le reflet de son propre visage, celui d’une ravissante jeune femme rousse au regard rebelle.

Gaelle adressa gravement à son reflet :

- Ça y est, on a sauté dans le grand bain. Pas de retour en arrière possible.

Puis elle ajouta avec une joie enfantine :

- Le spectacle commence : Acte un, scène un !

Telle une enfant surexcitée, Gaelle sautilla vers le salon, où était étendu son voisin évanoui. Elle s’agenouilla près de lui et prit sa mâchoire entre ses mains, tel un vulgaire jouet. Elle manipula cette marionnette humaine en ouvrant sa bouche et en adoptant une voix de petite fille :

- Par pitié Madame, ne me faites pas de mal !

Gaelle reprit sa voix normale pour répondre à son voisin-marionnette :

- C’est toi qui as commencé ! Toi et tes sales copains. Vous avez été de mauvaises personnes.

Gaelle agita la mâchoire de l’homme en reprenant sa voix de fillette :

- Non Madame ! Je regrette ! Je ne recommencerai pas, promis !

Gaelle adopta le ton sévère d’une mère qui réprimande son enfant :

- Je vais devoir te punir, mais c’est pour ton bien, tu comprends ? Pour m’assurer que tu as bien retenu la leçon. Je serai sévère, mais juste !

Gaelle lâcha négligemment la mâchoire de son voisin-marionnette, qui retomba mollement. Elle alla entrouvrir silencieusement la porte d’entrée et s’assura que le couloir de l’étage était vide... Puis elle retourna furtivement dans sa propre suite, dont elle revint avec un petit sac noir et une glacière pesante.

Gaelle referma précautionneusement la porte derrière elle, puis elle s’assit à côté de son voisin toujours inconscient. Elle ouvrit le sac noir et en sortit une seringue, qu’elle remplit d’un liquide laiteux.

Elle commenta stoïquement :

- Toxine tétanique.

Gaelle déballa ensuite un costume en latex noir, qu’elle savait être à la taille de sa victime. Elle plongea plus profondément sa main dans le sac pour en extraire des menottes, un godemichet et un fouet.

Gaelle commenta très sérieusement :

- Ça, c’est pour la mise en scène. C’est primordial, la mise en scène. Tout bon magicien sait que cela permet de détourner l’attention du spectateur de ce qui est vraiment important.

Gaelle sortit alors une longue cordelette de son sac, puis elle ouvrit la glacière dont elle dégagea un bloc de glace.

Une moue enfantine se dessina sur son visage, alors qu’elle ajoutait avec une innocence désarmante :

- Ceci est le point essentiel de notre petit numéro. Et c’est à côté de ça qu’ils vont tous passer.

*

Une petite heure plus tard, Gaelle descendit se délasser au bar de l’hôtel. Il était à l’image de ce majestueux hôtel : luxueux, spacieux, haut de plafond. On s’imaginait facilement y passer un long moment, ou bien s’assoir confortablement à l’écart, dans le grand salon commun.

Ambiance feutrée et cocooning de luxe, idéale pour le farniente...

Et c’est exactement ce que fit Gaelle : elle commanda un voluptueux chocolat chaud, puis un autre. Puis différents cafés, aux saveurs toutes plus subtiles les unes que les autres.

C’est alors que retentit un cri horrifié, au dehors, devant la sortie de l’hôtel qui donnait sur la plage.

Gaelle suivit calmement les clients et le personnel de l’hôtel, qui se précipitaient tous à l’extérieur. Le corps d’un homme venait de s’écraser sur les pavés, sans doute depuis l’une des terrasses du second étage. Paradoxalement, l’impression qui se dégageait de cette scène était davantage absurde que tragique…

La victime était en effet vêtue d’un costume de bondage en latex noir qui la boudinait. Cette tenue moulante était ouverte au niveau des fesses, cambrées de façon ridicule. L’une des mains serrait par ailleurs un fouet à lanières roses.

Peut-être, cette fois-ci, le ridicule venait-il de tuer.

- Oh mon Dieu c’est affreux ! S’horrifia une femme, autant choquée par cette indécente tenue que par le drame en lui-même.

Gaelle, pour sa part, savait combien le sort de cet homme était mérité... Et quelle inventivité artistique se cachait derrière ce spectaculaire décès.

La toxine avait tétanisé son voisin dans une posture bien droite, au garde-à-vous. Gaelle avait alors noué l’une des extrémités de la cordelette au bloc de glace, qu’elle avait ensuite coincé sous un transat préalablement alourdi par une valise pleine. Puis elle avait attaché l’autre extrémité de la cordelette à son voisin, placé debout, en équilibre précaire au bord du balcon-terrasse.

La chaleur de cette journée estivale avait fait fondre la glace, tandis que Gaelle attendait tranquillement de constater le résultat de son expérience, tout en se constituant un alibi au bar de l’hôtel.

L’amarre de glace devenant trop glissante et fragile, la cordelette s’était libérée du transat, et l’infortuné voisin avait fait connaissance avec le pavé de l’entrée d’hôtel.

Un plan aussi fou que grotesque, auquel la jeune femme elle-même n’avait pas cru un seul instant.

Et, paradoxalement, c’est peut-être pour cela qu’il avait aussi bien fonctionné. Les plus grandes entreprises de l’humanité ne puisaient-elle pas leur source dans une petite folie initiale ? La beauté hors norme des grands chefs d’œuvre artistiques, la démesure des plus grandes œuvres architecturales, et même, les percées scientifiques les plus avant-gardistes… Tout cela nécessitait de sortir de la pensée commune.

Tout cela nécessitait donc bel et bien un brin de folie.

En l’occurrence, Gaelle contemplait fièrement son œuvre terrible, mortellement écrasée sur le sol. Grisée par ce succès inattendu, Gaelle murmura avec espièglerie en direction de l’homme-latex :

- Que je ne t’y reprenne plus, petit chenapan !

La jeune femme leva son regard vers la terrasse de son voisin, où un léger feuillage naturel garantissait l’intimité de son occupant. Il était peu probable que quelqu’un y ait distingué un homme immobile et raide, dans sa combinaison noire.

L’une des personnes qui entouraient la victime se formalisa du fait que Gaelle dodelinait joyeusement de la tête. Cette dernière le regarda droit dans les yeux et désigna les écouteurs sans fils qu’elle avait placés dans ses oreilles.

Trois autres clients dévisagèrent Gaelle avec réprobation ; cette dernière augmenta le volume sonore sans cesser de dodeliner de la tête.

Les secours arrivèrent rapidement. Ils ne purent que constater officiellement le décès de celui qui était en passe de devenir la victime BDSM de l’année.

La police ne manquerait pas de relever les éléments suspects de cette mort… Mais irait-elle jusqu’à comprendre ce qu’il s’était réellement produit ?

A vrai dire Gaelle n’en avait cure. Elle quittait déjà l’hôtel d’un pas léger, tout en sifflotant.

Sa vengeance commençait à peine, et elle s’amusait déjà comme une folle !

*

Le lieutenant de police Perrine n’était certainement pas une lève-tôt. Elle arrivait systématiquement la dernière dans les bureaux, souvent mal coiffée, comme arrachée à une nuit de sommeil bien trop courte.

A cette attitude indolente s’ajoutait un physique de quarantenaire prématurément fatiguée par le temps. Ses paupières légèrement tombantes achevaient de donner au lieutenant Perrine l’apparence trompeuse d’une fonctionnaire peu efficace.

Ce jour-là, elle entra dans le commissariat à une heure honteusement tardive, le pas traînant, les cheveux défaits et un pull léger mal assorti et mal enfilé.

Son capitaine était là, avec d’autres collègues, qui discutaient près d’une machine à café, un gobelet à la main.

A peine Perrine arrivait-elle à la hauteur du capitaine que ce dernier lui lança sèchement :

- Je vous remercie de prendre rapidement connaissance du dossier qui vous attend sur votre bureau.

Perrine s’exécuta aussitôt.

*

Le lieutenant Perrine s’assit à son bureau, au milieu d’une salle qui en contenait une bonne dizaine d’autres, pour la plupart occupés par des collègues. Chacun vaquait à ses tâches dans un léger bruit d’ensemble qui demeurait discret et professionnel.

Plus le lieutenant Perrine s’imprégnait du dossier dont elle tournait les pages, et plus ses sourcils se fronçaient avec perplexité.

Le décès en lui-même, tout d’abord :

Un homme d’affaire respectable vêtu d’un costume de bondage en latex chute mortellement du second étage d’un hôtel de luxe.

Le caractère médico-légal du décès, ensuite :

Le cadavre présentait ce qui ressemblait à une rigidité cadavérique complète, indiquant dans ce contexte un décès survenu environ neuf heures avant la chute. Il est toutefois apparu que cette rigidité avait été induite par l’injection d’une toxine tétanique. Le saignement des différentes commotions provoquées par l’impact au sol indique par ailleurs que la victime était vivante au moment de sa chute.

Le lieutenant Perrine bailla profondément. Puis elle lut différentes portions du dossier avant d’ajouter très professionnellement :

- Une tenue BDSM, un godemichet, un fouet… Voilà qui est un peu trop artistique pour un meurtre planifié de sang-froid. Tout ceci ressemble plutôt à une partie fine qui aurait dégénéré.

Bien évidemment, Perrine allait devoir enquêter afin de cerner les zones d’ombre de cette affaire.

*

Gaelle quitta calmement le Grand Hôtel de Cabourg pour monter dans sa vieille Renaut 5 alpine. Il s’agissait d’un petit bolide produit en 1980, au moteur encore nerveux malgré son âge. A la fois rare et recherché par les amateurs du genre, ce modèle à trois portes suscitait depuis peu l’intérêt d’acquéreurs de plus en plus entreprenants.

Gaelle tenait toutefois bien trop à sa petite bombe lustrée pour la céder, et ce quel qu’en fût le prix. Cette voiture avait en effet exactement le même caractère impétueux qu’elle, ce qui donnait lieu à des courses nerveuses dans lesquelles Gaelle faisait corps avec son engin.

Les indiens d’Amérique avaient leurs animaux-totem ? Eh bien Gaelle avait sa voiture-totem, et même les vingt mille euros (vingt mille euros !) dernièrement proposés par un passionné n’y changeaient rien.

Gaelle monta donc dans son totem motorisé, tandis que le bagagiste de l’hôtel y chargeait sa valise. Puis elle enfila ses gants de cuir fin. Des gants aérés sur le dos des mains. Des gants conçus pour le plaisir du pilotage.

Enfilage de larges lunettes de soleil rondes sur le nez, sourire de pétasse de luxe… Et démarrage en trombe vers la suite d’une vengeance amplement méritée.

Un jour plus tard, Gaelle roulait au ralenti dans le centre-ville de Bordeau.

Car c’est là que résidait sa seconde cible.

*

Le lieutenant Perrine arriva au Grand Hôtel de Cabourg en fin de journée. Peu lui importait la qualité des constations initiales déjà effectuées par ses collègues. Peu lui importait les photographies, les relevés scientifiques, les témoignages collectés, les enregistrements… Perrine avait besoin d’approfondir par elle-même certains détails.

Car Perrine avait de l’intuition.

Il lui fallait observer les lieux, sentir les odeurs, et se laisser porter par un invisible courant... C’est ainsi qu’elle transformait d’anodins détails en un tout nouvel éclairage sur une affaire.

Perrine entra donc dans l’hôtel, montra sa carte de lieutenant de police, et demanda à parler au directeur.

Le réceptionniste marqua tout d’abord un temps d’arrêt, tout en fixant la carte de police tendue sous ses yeux. Il semblait peiner à croire que cette femme de quarante ans, mal habillée, mal coiffée, et aux yeux rougis de fatigue fût réellement officier de police.

Le réceptionniste fixa Perrine. Puis à nouveau la carte de police.

Il appela finalement le directeur, qui eut la courtoisie de ne montrer aucune surprise.

Le directeur conduisit Perrine à la chambre de la victime. Le lieutenant y entra et demeura au milieu du salon, silencieuse et immobile. Ses cheveux décoiffés, son regard vague et sa veste négligemment enfilée lui donnaient ce côté légèrement ahuri que peuvent avoir certaines personnes inadaptées à la vie sociale.

A y regarder de plus près, Perrine semblait errer dans ses propres pensées.

- Vous ne faites pas le tour de la chambre ? S’étonna sobrement le directeur.

- Mes collègues s’en sont déjà chargé, répondit Perrine, l’air toujours absent.

Le silence se fit à nouveau. Le directeur attendait patiemment, un peu gêné par cette attitude déconcertante, quand Perrine s’exclama brusquement :

- Allons sur la terrasse !

Le directeur l’y suivit, avec une retenue très professionnelle.

La terrasse suspendue était étonnamment grande, pour une structure située au second étage. Elle dominait la plage de haut, et la vue sur la mer était à couper le souffle.

Perrine n’y préta aucune attention. Elle pointa le sol de la terrasse de son doigt, et lança :

- Des photos prises par mes collègues montrent qu’il y avait de gros morceaux de glace, à cet endroit, juste après la chute de la victime, Monsieur Ramirez Da Costa. Tenez, regardez.

Perrine sortit son smartphone, en tritura longuement l’écran, puis le tourna brusquement vers le directeur qui dut reculer d’un pas pour ne pas recevoir le téléphone en plein visage.

Perrine demanda :

- Cette glace peut-elle venir du frigo de la chambre ?

- Certainement pas dans cette quantité, répondit catégoriquement le directeur.

- Du bar de l’hôtel alors ? Ou bien des cuisines ?

- Pas pour un service ordinaire… Mais cela reste possible si le client nous a fait une demande particulière.

Songeuse, Perrine répondit comme si elle venait de découvrir cette réalité :

- Oui, bien sûr, nous sommes dans un hôtel de luxe. Pouvez-vous vérifier si Monsieur Da Costa a effectué cette demande ?

Le directeur ne put masquer un mouvement d’étonnement. Durant un très bref instant, son regard trahit malgré lui cette pensée :

Mais pour quel genre de Columbo cette folle essaie-t-elle de se faire passer ?

Le professionnalisme hôtelier reprit aussitôt le dessus : le directeur s’en alla avec la promesse de revenir très rapidement.

Magie de l’hôtellerie de luxe, plaisir d’offrir et joie de recevoir, le directeur revint effectivement un petit moment plus tard. Il affirma avec certitude :

- Le client n’a fait aucune demande de glace auprès de notre personnel.

Ce à quoi Perrine répondit distraitement, sans cesser de fixer le sol de la terrasse :

- Vous est-il possible de vérifier s’il a fait entrer cette glace dans l’hôtel ?

- J’ai anticipé votre question. J’ai déjà fait faire le tour de l’équipe de réception présente à ce moment et…

- Et personne ne se souvient avoir aperçu quoi que ce soit, interrompit distraitement Perrine, les yeux perdus dans la contemplation du bord de la terrasse.

- Bien évidemment, cela ne veut rien dire en soit. Une glacière peut très bien être placée dans un bagage plus grand et, dans tous les cas, notre personnel n’a aucune raison d’être attentif à ce genre de détail, parmi le flux continu d’entrées et de sorties de notre clientèle.

- Bien évidemment. Répondit Perrine d’un ton rêveur.

Elle s’approcha du bord de la terrasse.

Deux étages sous ses pieds, le sol en pavés durs, sur lequel s’était écrasée la victime. Et, dans une perspective magnifique, la plage de Cabourg, qui s’étendait au loin, jusqu’à la mer en marée basse.

Perrine se retourna lentement vers le directeur. Ce seul geste semblait lui demander un effort important. Ses cheveux désormais emmêlés par le vent marin lui donnaient un air de folle égarée.

- Peut-on… Commença-t-elle.

Le directeur attendit patiemment la suite, sans aucune forme de jugement dans son attitude. Perrine reprit lentement, comme si elle tentait de démêler le fil de ses propres pensées :

- Les portes de chaque chambre… Elles s’ouvrent bien avec un badge en plastique n’est-ce pas ?

- Tout à fait

- Et ces ouvertures… Sont-elles enregistrées quelque part ?

- Effectivement. Nous disposons d’un journal électronique précis de chaque ouverture et fermeture de chaque chambre.

Perrine regarda au loin, à travers le directeur. Puis elle demanda :

- Pouvez-vous me montrer cela ?

- Bien évidemment.

A peine quelques minutes plus tard, Perrine et le directeur se tenaient dans une pièce technique pourvue de plusieurs écrans de surveillance vidéo. A côté d’eux était assis un jeune membre du personnel. Il pianotait sur un ordinateur, à la demande de Perrine :

- Nous savons que la chambre de Monsieur Da Costa s’est ouverte pour la dernière fois hier soir à deux intervalles très rapprochés : 21h12 et 21h13. Puis plus rien jusqu’à ce matin, 10h14, où le corps de Monsieur Da Costa est tombé depuis sa terrasse privative.

Le jeune homme acquiesça. Perrine demanda d’une voix éraillée :

- Pouvez-vous regarder, au même étage, quelles portes se sont ouvertes hier entre… Disons… 21h05 et 21h14 ?

Le jeune homme pianota, l’écran afficha plusieurs lignes. Perrine se pencha et s’arrêta sur un résultat qui se démarquait des autres :

- Chambre 215… Une ouverture de porte à 21h13, donc au même moment que celle de Monsieur Da Costa. N’est-ce pas une chambre voisine ?

- Effectivement, répondit le directeur, cette chambre est située juste à droite de celle de Monsieur Da Costa.

Il ne s’agissait-là que d’un vague murmure soufflé par son intuition… Perrine elle-même n’y croyait guère, elle avait néanmoins pris l’habitude de se laisser porter par cette douce inspiration.

Perrine demanda donc d’une voix traînante :

- Puis-je avoir l’identité de l’occupant de la 215 ?

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